Jikji, le livre coréen plus ancien que la Bible de Gutenberg
Connaissez-vous le livre coréen qui est plus ancien que la Bible de Gutenberg et imprimé à l’aide de caractères métalliques mobiles ? La réponse est le Jikji. Il se trouve à la Bibliothèque François-Mitterrand, Paris (BnF). Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi ce patrimoine coréen est-il à Paris ? Quand est-il venu en France et comment ? Que signifie Jikji ? De quoi s’agit-il ? Voulez-vous découvrir les mystères du Jikji avec moi ? Deux anciens livres coréens et deux records Métal Le 12 avril 2023, un livre très spécial dans l’histoire de l’humanité sera relevé au public à la BnF. Il se nomme « Baegun hwasang chorok buljo jikji simché yojeol. » (en Hangeul : 백운화상초록불조직지심체요절, en Hanja : 白雲和尙抄錄佛祖直指心體要節) Autrement dit « Jikji simché yojeol ». Encore plus court ? « Jikji » ! La particularité de ce livre n’est pas la longueur de son titre complet mais son ancienneté. Le Jijki a été imprimé en 1377, 78 ans avant la Bible de Gutenberg. La même année en Europe, la guerre de Cent Ans a éclaté. Tandis que les moines européens copiaient la Bible à la main, les moines coréens avaient trois choix pour reproduire des livres : l’écriture manuscrite, la xylographie ou à l’aide de caractères métalliques mobiles. Bois Par ailleurs, parmi les livres existants, le plus ancien livre du monde imprimé en xylographie est en Corée du Sud. Il a été découvert en 1966 lors de la restauration de la pagode célèbre, Seokgatap, à Gyeongju. Cette dernière était la capitale de la dynastie Silla pendant 1000 ans, de 57 A.D à 935. Autrefois, il y avait une coutume qui était de déposer des objets sacrés, par exemple des Sarira ou des paroles du Bouddha en forme de livre, dans des pagodes ou des statues de Bouddha. Ce livre en rouleau est petit : 8 cm de hauteur et 620 cm de longueur. On estime qu’il a été imprimé avant l’année 751 pendant la dynastie de Silla unifié. Il a donc au moins 1272 ans ! Ce petit livre millénaire s’appelle « Mugu jeonggwang dae-darani-gyeong ». En Hangeul, 무구정광대다라니경, en Hanja, 無垢淨光大陀羅尼經, et en français, « Grand Dharanisutra de la Lumière Immaculée et Pure ». Alors de quoi parle le Jikji ? Contenus du Jikji Le titre récapitule le contenu du Jikji : Baegun hwasang chorok buljo jikji simché yojeol. » Je le traduis mot à mot : Baegun hwasang = le Révérend qui s’appelle Baegun, chorok = résumer, buljo = le Bouddha et des patriarches, jikji = indique directement, simché = l’essence véritable, yojeol = des extraits importants. En phrase, le Révérend Baegun indique directement les essences des essences du Bouddha et des patriarches et résume les parties importantes. Selon Wikipedia français, voici le titre complet de Jikji : « Compilation par le Révérend Baegun d’extraits essentiels de la montrance directe du substrat de l’esprit par les bouddhas et les patriarches ». Précisément, le Jikji contient des citations et des dialogues importants et des lettres échangées entre le Bouddha et des patriarches. Il a été utilisé comme un manuel auprès des moines. Selon la version de planches sur bois du Jikji imprimé en 1378, il y a deux volumes. Mais quant au Jikji imprimé en typographie métallique, la première partie a disparu et c’est seulement la seconde partie qui est à Paris. Histoire de création : Jikji vs Bible de Gutenberg J’avais envie de comparer les circonstances de la création du Jikji et de la Bible de Gutenberg. B42 Le 23 février 1455, Johannes Gutenberg imprima la Bible latine à quarante-deux lignes (B42) à Mayence, Allemagne. Parce qu’il était pieux ? Non, il voulait gagner de l’argent, beaucoup d’argent d’ailleurs pour en vendre à ses clients VIP : les institutions religieuses. A cette époque, les églises catholiques étaient très riches grâce à l’augmentation de la vente des indulgences. La rémission totale ou partielle devant Dieu n’était pas éternelle. Elle avait une durée limitée : 3 mois, 6 mois ou 1 an. Alors les gens en ont acheté continuellement pour réserver leur place et celles de leurs parents au paradis. Plus la classe sociale était haute, plus le prix était élevé. Les églises étaient contentes de devenir riches et satisfaites par la qualité des produits de Gutenberg. Alléluia ! Du coup, Gutenberg avait envie de leur vendre un produit plus coûteux que l’indulgence : la Bible. Au Moyen Age, étant donné qu’un moine copiste devait travailler au moins un an et copier sur des parchemins, une Bible coûtait très cher. Avec une jolie Bible, on pouvait acheter 10 maisons. Mais Gutenberg avait une imprimerie. Cette dernière pouvait reproduire d’innombrables exemplaires seulement en quelques mois et moins cher en plus, car le parchemin était 15 fois plus cher que le papier. Gutenberg rêvait de la poule aux œufs d’or. Il a emprunté de l’argent de Johann Fust et a imprimé 180 Bibles : 150 exemplaires sur papier et 30 sur vélin. Est-il devenu riche ? Malheureusement non. Au contraire. Avant la fin de l’année, il a tout perdu y compris son imprimerie à cause du projet de B42. En fait, Gutenberg a emprunté 800 florins et encore le même montant juste après à 6% de taux d’intérêt. 800 florins correspondent à des millions d’euros actuellement. Son créancier a porté plainte contre lui, pensant qu’il ait détourné les fonds et exigeant le remboursement de ses investissements. Peter Schöffer, apprentie de Gutenberg, a témoigné en faveur de Fust. Gutenberg a perdu au procès et fini sa vie dans la misère en 1468. Jikji et Tripitaka Koreana Contrairement à la B42, le Jikji était fabriqué par les moines dans un petit temple éloigné en Chungcheong province. Avant que l’imprimerie en caractères métalliques mobiles s’y installe, cette technique était déjà répandue dans la dynastie Goryeo depuis 200 ans. Comme la dynastie précédente Silla, Goryeo avait déjà imprimé plusieurs livres en gravure sur bois. L’exemple le plus remarquable de cette époque est sans aucun doute Tripitaka Koreana, autrement dit Tripitaka des quatre-vingt mille (팔만대장경, Palmandaejanggyeong). En réalité, le Bouddhisme était la religion nationale pendant la dynastie Goryeo de 918 à 1392. Contre de nombreuses attaques du Khitan, le roi ordonna la fabrication de Tripitaka pour unifier l’esprit du peuple et pour renforcer l’identité du pays. Le premier Tripitaka a été créé en 1087. Mais en 1232, pendant l’attaque Mongole, il a été entièrement réduit en cendres ainsi que les moines qui l’ont entouré pour le protéger. De 1236 à 1251, le Tripitaka a été réédité en 81 258 plaques d’impression en bois. Elles ont été conservées en parfait état jusqu’à présent dans le temple Haeinsa en Corée du Sud. Concernant cet héritage exceptionnel, je vous raconte deux épisodes drôles. Durant les 500 ans de la dynastie Joseon (1392 à 1910), le Japon désirait le Tripitaka Koreana et l’a réclamé à plusieurs reprises. Par exemple, en 1411, le Japon, lui a offert un éléphant qui était un animal étranger et rare. Il a demandé de l’échanger contre le Tripitaka Koreana. Douze ans plus tard, 135 délégués japonais sont venus offrir des cadeaux à Séjong le Grand et le lui ont demandé à nouveau. Comme le roi a refusé, 2 délégués ont fait la grève de la faim. Afin de calmer la situation, Séjong a sérieusement réfléchi à le leur donner. Pourtant à cause de l’opposition sévère de ses sujets, Séjong a changé d’avis. La grève de faim s’est terminée au bout de 3 jours. Retournons au Jikji. Pourquoi Jikji est-il à Paris ? Dans un coin de la BnF, le Jikji est resté endormi sous la poussière jusqu’à 1967. Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment et qui l’a réveillé ? Pour répondre à cette question, j’ai besoin de vous expliquer une petite guerre entre la France et la Corée en 1866 : Byung-in-yang-yo en coréen ou « Expédition française en Corée » en français. Après, nous retournerons au XXe siècle. Expédition française en Corée (병인양요) en 1866 A la fin du XIXe siècle, le nombre de chrétiens catholiques a augmenté dans le Pays du matin calme. Cela a engendré un gros problème dans la société. Premièrement, l’idée de l’égalité humaine devant un dieu s’est directement confrontée à la philosophie hiérarchique du confucianisme. Deuxièmement, au nom de l’idolâtrie, le catholique a interdit le Jesa qui était une des coutumes essentielles de Joseon. Le Jesa est une coutume coréenne pour saluer aux ancêtres en leur offrant des aliments. Du coup, la nouvelle religion de l’Ouest était considérée comme une ennemie publique qui menaçait les familles, la société et la politique du pays. Daewongun, le père du roi Gojong, assura la régence de 1863 à 1873 et persécuta des chrétiens catholiques. En 1886, un évêque et huit prêtres français ont été exécutés ainsi que des millions de convertis coréens. Napoléon III envoya l’amiral Pierre-Gustave Roze à Joseon. Les bateaux sous le drapeau tricolore sont arrivés dans la mer Jaune en septembre 1866. Les soldats français ont occupé l’île de Ganghwa. Roze déclara « comme Joseon a massacré nos neuf missionnaires, nous allons tuer neuf mille personnes de Joseon ! » Après deux mois de batailles, l’amiral Roze s’est replié. L’armée française est partie avec 345 livres anciens et 19 lingots d’argent de Joseon. Après cet incident, Daewongun a renforcé le mur contre toutes les propositions d’échanges avec les pays occidentaux. En plus, pour nettoyer dans le sang ce malheur venant de l’Occident, il a massacré huit mille catholiques coréens jusqu’à 1871. La femme bleue Un siècle plus tard, une jeune coréenne arriva en France pour ses études en Histoire. Elle était la première femme coréenne à obtenir le visa d’étudiant en France : PARK Byeongseon (PARK Byeng-sen). Son objectif était clair : retrouver l’Oegyujanggak Uigwe, le trésor national coréen disparu pendant Byung-in-yang-yo. Après avoir obtenu deux diplômes de doctorat en histoire à l’Université Paris-Diderot et en religion à EPHE, elle a été embauchée à la BnF en tant que bibliothécaire. Quand elle avait du temps, elle examinait les livres anciens dans la section de la Corée. Jikji En 1967, elle trouva un vieux livre. Sur la couverture, une phrase est écrite en français à la main : « Le plus ancien livre coréen imprimé comme en caractères (un mot effacé) fondus, avec date 1377 ». Un siècle plus ancien que la Bible de Gutenberg ! Son cœur a palpité. Sur la dernière page : « imprimé au temple Heungdeoksa à Cheongju en 1377 ». Pourtant aucun temple se nommant Heungdeoksa n’existait en Corée du Sud ! Où se trouve le Heungdeoksa ? En 1900, ce livre a été présenté à Exposition universelle de Paris. En 1972, suite à la réclamation des Nations Unis, l’UNESCO a organisé un événement spécial « l’Année internationale du livre » à Paris. Mme Park avait envie de prouver que le Jikji était bien imprimé à l’aide des caractères métalliques, pas en gravure sur bois. Elle a fait des recherches seule. En faisant des expérimentations pour fondre du métal chez elle, elle a failli brûler son logis trois fois. Enfin, le Jikji a été exposé au public sous l’étiquette « le plus ancien livre au monde en caractères métalliques mobiles ». La Bnf était fière de posséder ce livre historique. Uigwe Trois ans plus tard, lors d’une discussion avec un collègue dans une cantine, Mme PARK a entendu parler des livres coréens disparus en 1866. Les 297 livres de l’Uigwe étaient délaissés dans les annexes de la Bibliothèque nationale à Versailles ! C’est ce qu’elle avait cherché pendant 20 ans depuis son arrivée en France. L’Uigwe est un document officiel que les rois de Joseon ont consulté afin de préparer des événements importants de la famille royale ou du pays. Il montre le déroulement de chaque événement en texte et en dessin. (en Hangeul : 외규장각 의궤 ou 의궤, en français : Régles Protocolaires de la Cour Royale de la Corée des Li. « La Corée des Li » signifie la dynastie Joseon.) Comme les media parlaient du pillage de la France, la BnF a pressé Mme Park pour qu’elle démissionne. Même après, elle a continué à travailler à la BnF en tant que visiteur et étudié l’Uigwe. Etant donné qu’elle l’a consulté tous les jours et … Lire la suite de Jikji, le livre coréen plus ancien que la Bible de Gutenberg